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Les moutons

Qu’a t-on demandé aux moutons jusqu’à présent ?
On leur a demandé comment ils convertissaient de l’herbe en gigot.
Les moutons sont-ils bêtes parce que ce sont des animaux peu sophistiqués,
ou sont-ils bêtes parce qu’on leur a posé des questions qui ne les rendent pas très intelligents
 ?

Thelma Rowell, primatologue et éthologue


Grégaire, et alors ?

sheep-931136_1280.jpg Les moutons sont grégaires. Ce concentré de sagesse populaire recouvre en quasi-totalité la connaissance que nous avons du mouton, en tant que néophyte tout du moins. Mais cette grégarité cache en vérité des existences riches et fascinantes. La grégarité des moutons varie elle-même selon les espèces (les mérinos sont très proches alors que certaines races basques fonctionnent plus en petits groupes isolés qu’en troupeaux) et, à l’instar des bancs de poissons, trouve tout son sens dans la protection contre les prédateurs. Cent yeux valent mieux que deux, comme disait Argos (même si dans son cas on ne peut pas vraiment parler de franc succès).

Les moutons sont des animaux dotés de sens très performants, que ce soit la vue, l’odorat ou l’audition. Leur odorat est même tellement performant qu’il leur permet de discriminer différentes familles de plantes qu’ils sont capables de classer et d'utiliser dans un but thérapeutique, ce qu’ils apprennent soit en le découvrant d’eux-mêmes, soit par transmission familiale).

Mâles, femelles et spectacles de séduction

sheep-751481_1280.jpg Les mâles et les femelles vivent la plupart du temps séparés. Les brebis se regroupent en un grand troupeau avec les jeunes, quant aux béliers ils restent isolés ou vivent en petites communautés. Ces derniers ont des organisations hiérarchiques très variables et présentent des liens d’amitié forts. À l’approche de la période de reproduction, ils se séparent pour infiltrer le troupeau de brebis, ce qui peut créer des conflits entre les béliers concurrents. Néanmoins, les comportements d’affrontement chez les béliers sont assez complexes : ceux qui  se connaissent ne se battent pas comme ceux qui ne se connaissent pas, et on peut souvent repérer des comportements de réconciliation pendant, ou après les combats. Fait plus étonnant encore, des stratégies de pré-réconcilliation se mettent parfois en place avant même la séparation du groupe de béliers, un peu du genre Ecoute bro, on va se battre mais on reste des potes, des vrais ok ?

Pour l’éthologue Thelma Rowell, il est même possible que les combats entre mâles ne consistent pas uniquement en une histoire de menace/soumission, mais également à un spectacle son et lumière pour attirer les brebis, ce qui expliquerait pourquoi certains béliers adultes acceptent le combat avec de jeunes béliers moins forts. Il faut deux mains pour applaudir (même si, dans le cas présent, ça implique d’emprunter la main de quelqu’un d’autre, ce qui doit se faire, de préférence, avec l’accord de son propriétaire).

Une subtile organisation démocratique

Le choix de la direction dans laquelle un groupe va se diriger est généralement le lieu d’une subtile organisation démocratique où présideront divers indices corporels indiquant la direction que veulent suivre un ou plusieurs individus. Les autres moutons intéressés y répondront et une fois le recrutement complet, celui qui a reçu le plus de suffrages pourra entrainer le groupe dans la direction désirée. Le groupe de brebis, lui, est en général dirigé par la femelle la plus âgée, celle qui a donc le plus d’expérience. Les relations d’amitié sont fréquentes et les mères gardent un contact très proche avec leurs agnelles au moins jusqu’à ce que ces dernières aient également des petits.

Des aptitudes intellectuelles stupéfiantes

Les moutons peuvent mémoriser de nombreux visages (plus de cinquante visages d’autres moutons pendant au moins deux ans, durée de l’étude), ils peuvent distinguer différentes émotions, et ils peuvent également le faire avec les visages humains, ainsi que reconnaître les différents humains par de nombreux indices, vêtements, cheveux, visage, chapeau, etc. Ils ont une excellente aptitude à comprendre les règles d’un exercice et s’adaptent très rapidement à un renversement des règles, parfois même mieux que les primates. Il faut tout de même admettre que certains individus ont fait preuve d’une très mauvaise humeur lors du changement de règles et ont arrêté le test pour aller se plaindre à l’expérimentateur !

sheep-784562_1920.jpg Des études ont également mis à jour que les conditions dans lesquelles un individu a grandi auront une influence décisive sur son comportement à l’âge adulte. Des moutons ayant eu une enfance difficile auront une tendance au pessimisme très marquée, à être craintifs et peu aventureux, tout le contraire de ceux dont la jeunesse s’est déroulée normalement. Le Dr Keith Kendrick, le neuroscientifique de l’institut de Cambridge ayant mené certaines de ces études, révèle même que les recherches actuelles indiquent que les moutons ont des capacités qui sont comparables de nombreuses façons à celles des humains. En rapport avec la mémoire des moutons, il annonce que  c’est un système mémoriel très sophistiqué. Ils montrent des capacités très similaires à celles des humains. Nous (humains) sommes capables d’une perception consciente des visages en utilisant le même système cérébral que celui présent chez le mouton. De ce fait, ça serait étonnant qu’ils ne soient pas capables d’avoir un certain niveau de conscience. Dans une autre interview au Times, il ajoute que les études montrent que les brebis tombent amoureuses des béliers, ont des meilleures amies et sont tristes quand l’un de leurs proches meurt ou est envoyé à l’abattoir. Ces découvertes pourraient avoir d’importantes implications sur la façon dont nous traitons les animaux de ferme. La plupart des scientifiques qui ont travaillé avec des moutons s’accordent également sur leur aptitude quasi certaine à penser aux absent-e-s.

Ouvrir des portes et prendre la fuite

Et ça ne s’arrête pas là, comme l’illustrent ces deux histoires:

Janet Taylor, qui a fondé Farm Animal Sanctuary où elle recueille des animaux sauvés de l’abattoir, se plait à raconter les facéties du « gang des trois », trois moutons capables d’ouvrir n’importe quelle porte dans sa ferme ! Ils utilisent leur langue comme une clé en l’introduisant dans la serrure, et si le verrou est dur, l’un d’eux s’appuie sur la porte pour lui faciliter la tâche tandis que le troisième donne un coup de sabot pour l’ouvrir… Ingéniosité et coopération, voilà encore deux qualités ovines que certains jugeront inattendues.

De même, en Angleterre, un troupeau de moutons a défrayé la chronique en parvenant à déjouer le dispositif qui les empêchait de sortir pour aller brouter les pelouses de la ville d’à côté. La sortie de leur pré était munie de Cattle grids, des grilles horizontales au sol que les animaux ne peuvent pas franchir sans risquer de tomber entre deux barres. Qu’à cela ne tienne, pour citer la maire de cette petite ville du Yorkshire, témoin de la scène, ils se couchent sur le flanc, ou parfois sur le dos, et roulent encore et encore sur la grille jusqu’à ce que la voie soit libre. Ils ont mangé plusieurs jardins privés, plusieurs jardins publics, un terrain de bowling extérieur et le terrain municipal de cricket.

Alors, qui a dit qu’il était sot le mouton ?

Sébastien Moro