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Les pigeons

Pigeon,
Oiseau à la grise robe,
Dans l’enfer des villes,
A mon regard tu te dérobes,
Tu es vraiment le plus agile.

C’est arrivé près de chez vous (film)


Dans ces histoires d’intelligence(s) animale(s), il semble légitime de se demander : quid du pigeon ? Entre rat volant et colombe de la paix, qu’en est-il de cet individu avec lequel nous partageons notre quotidien sans vraiment y penser ? Hors des perceptions, des tiraillements idéologiques humains, de quoi se compose son quotidien ? Et bien un peu comme tout le monde à vrai dire : métro, boulot, dodo. Mais pour une meilleure lisibilité du propos à venir, je vais modifier cette structure en Métro, dodo, ciboulot.

Métro

Métro vient de chemin de fer métropolitain et métropole vient du grec et signifie cité mère.

pigeon-302720_1920.jpg Les pigeons vivent en groupe, c’est connu. Ce sont des individus sociaux mais leur appartenance au groupe est très lâche. Il existe divers rangs de dominance en matière de primauté à l’alimentation, et les membres des groupes peuvent tout à fait changer de compagnie plusieurs fois dans la journée. Il n’est pas rare qu’un pigeon mange avec un groupe et aille se reposer avec un autre. Certains sont opportunistes et changent régulièrement, d’autre viennent au bar PMU du coin entre potes, tout est une question de style. En vol c’est très différent et les chercheur-euse-s peinent à comprendre la chaîne de décision. Il semblerait que ce soit un système très complexe de leader/suiveur en chaîne basé sur des équilibres entre l’influence du groupe sur les différents leaders et celle de leurs prises de décisions personnelles. Ayant plusieurs leaders utilisant leur propre intelligence pour décider de ce qu’il faut faire, le groupe augmente les chances de prendre de bonnes décisions, même en cas de forte incertitude, par une sorte de chaîne de commandement méritocratique en cascade. Le groupe apporte la protection nécessaire contre les prédateurs (par une surveillance accrue) et de nombreux avantages dans la recherche de ressources. Les pigeons communiquent majoritairement par roucoulement, courts grognements et battements d’ailes.

pigeons-263306_1920.jpg Ils sont également capables d’identifier les communications des autres espèces : ils distinguent très bien le cri d’alarme du merle de son chant. Le premier déclenchant un envol, mais pas le second. Les pigeons se reconnaissent individuellement, notamment par la démarche et les caractéristiques faciales. Plusieurs expériences ont également montré leur grande capacité d’apprentissage social. L’une d’elles a consisté à capturer des pigeons libres, à leur apprendre une nouvelle technique d’accès à la nourriture, puis à les relâcher dans leur territoire avec le nouveau dispositif à disposition. Très rapidement tous les autres pigeons ont appris à ouvrir le dispositif. Plus surprenant, il semble que certains pigeons aient  fait l’effort d’apprendre le système d’ouverture alors que d’autres se contentaient de rester à côté pour récolter le fruit du labeur des premiers. Des expériences similaires à celles utilisées pour communiquer avec les grands singes ont permis de montrer que les pigeons pouvaient aussi apprendre à communiquer entre eux en utilisant des symboles abstraits. Mais n’allons pas trop vite vers leurs capacités intellectuelles, nous y reviendrons dans un instant.

Dodo

Du latin dodonum, dodo, le calme et num, allongé.

pigeons_birds-932443_1920.jpg C’est sur cette étymologie tout à fait fantaisiste que nous allons nous arrêter une seconde sur la cellule familiale. En effet comme nous l’avons dit, le groupe ne constitue pas la cellule principale du pigeon. Leur territoire est en général très restreint et ils vivent en couples monogames (couples qui peuvent durer une saison, ou parfois à vie). Les parents participent à parts égales aux soins des petits. Encore plus fort : un déclenchement hormonal permet aux pigeons des deux sexes de régurgiter un type de lait, appelé lait de jabot permettant de nourrir les petits sur les premiers jours et renforcer leur système immunitaire. La mortalité des petits est très importante et sur une moyenne de huit petits par an, les études semblent démontrer qu’un couple ne réussit à faire survivre qu'un seul jeune jusqu'à son envol. Ils défendent leur nid farouchement contre toute intrusion.

Ciboulot

Du latin caepa qui signifie oignon. Contrairement à la précédente, cette étymologie n’est pas inventée, merci de ne pas m’en tenir pour responsable.

Le meilleur pour la fin. Les pigeons sont intelligents. Très intelligents. Merci d’avoir suivi ce texte et nous vous retrouvons la semaine prochai…quoi ? Plus de détails ? Très bien allons-y alors. Les pigeons sont des petits volatiles au cerveau gros comme le bout d’un index humain, dont la vue est redoutablement perçante. Leur cerveau gère l’information visuelle trois fois plus vite que le nôtre (notre monde est donc au ralenti pour eux, ce qui explique pourquoi ils décollent tard quand une voiture arrive, ajouté à ça qu’une étude canadienne a démontré que les oiseaux urbains connaissent les limitations de vitesse). Leur champ de vision couvre la quasi-totalité de l’environnement (340°) avec une richesse de couleur et une netteté parfaitement révoltante. Histoire de parfaire l’histoire, ils ont également des capteurs magnétiques extrêmement efficaces et un excellent odorat (certain-e-s chercheur-euse-s pensent qu’ils créent des cartes olfactives), ce qui leur permet de se diriger sur de longs trajets. Mais surtout les pigeons font partie du petit groupe VIP des animaux ayant réussi le test du miroir, censé être l'un des étalons majeurs visant à démontrer la présence d’une conscience de soi. Ils arrivent également à faire la différence entre une vidéo qui les représente en temps réel ou avec un décalage de deux secondes.

pigeon_cappodocia-722611_1920.jpg Il vous en faut plus ? Très bien. Les pigeons ont un réel talent de classification : sur une expérience du Pr. Wasserman, ces derniers ont catégorisé 128 objets en 16 catégories (poissons, chiens, voitures, bébés, etc.). Une étude de l’université Keio de Tokyo a également consolidé cette idée en prouvant que les pigeons, eux, faisaient très clairement la différence entre un Picasso et un Monet. D’autres expériences du Pr. Wasserman ont également révélé chez les pigeons une aptitude à comprendre des règles abstraites et à les appliquer, de même qu’à passer par des moyens détournés pour arriver à leurs fins. Réalisée sur écran tactile, l’expérience de la corde consiste à lier un point lumineux à un symbole hors d’atteinte représentant de la nourriture. Les deux sont reliés par un trait de couleur, et sont ajoutés d’autres points reliés à des symboles sans importance. Chaque clic sur le point relié à la nourriture raccourci la corde et rapproche le symbole de la nourriture jusqu’à obtention de vraie nourriture. Les pigeons ont été capables de sélectionner correctement le bon point, malgré des croisements divers et variés des cordes.

Toujours pas rassasiés ? Très bien. Des scientifiques néo-zélandais ont démontré que les pigeons avaient des aptitudes mathématiques équivalentes à celle des primates. Ils ont appris aux pigeons à sélectionner des suites arithmétiques croissantes sur un écran tactile afin d’obtenir de la nourriture. Damian Scarf a entraîné ses pigeons avec les nombres un, deux et trois, puis a augmenté les nombres : les oiseaux ont réussi à poursuivre la progression dans plus de 70% des cas.

Des intelligences que nous croisons tous les jours

Les pigeons sont également doués pour utiliser leur environnement comme le montre la vidéo du pigeon confronté au célèbre test de la banana box mis au point afin de voir si un individu animal est capable de pousser une boite pour se jucher dessus af'in d'être suffisamment haut pour atteindre de la nourriture. Ce qui est plus surprenant c’est qu’un pigeon n’a pas de raison de savoir faire ça puisqu’il sait voler. Voler au lieu d’être prisonnier d’une boite de plexiglass à subir des tests. Car oui les pigeons sont capables de prouesses incroyables, font preuve d’une adaptation et d’une intelligence rare et tandis que nous cherchons des intelligences extra-terrestres, nous sommes paradoxalement occupés à mépriser les intelligences terrestres que nous croisons tous les jours, jusqu’à tuer ces altérités animales avec qui nous pourrions tant partager. Ah, j’ai oublié une dernière étude du Pr. Wasserman : les pigeons savent reconnaître les émotions des humains. Quant à l’inverse…

Sébastien Moro