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Les poules

Cet article de Pierre Sigler a été publié à l'origine dans le Huffington Post du 11.12.2014 (Mis à jour le 10.02.2015)


Petit tour dans l'univers des poules et des poulets

poule.png Tous les oiseaux sont des dinosaures théropodes dont l'ancêtre commun vivait il y a 150 millions d'années, et dont ils ont hérité diverses caractéristiques physiques dont les plumes et la morphologie des pattes. Les gallinacés domestiques (gallus gallus domesticus) sont tous issues des poules bankiva (gallus gallus) qui vivent dans les forêts du sous-continent indien et en Asie du sud-est (Birmanie, Malaisie, Thaïlande et Cambodge). Les poules ont été domestiquées il y a environ 8000 ans, puis ont été introduites au Moyen-Orient et en Égypte durant le 2e millénaire avant J.-C., en Europe durant le 1er millénaire av. J.-C, et au 16e siècle en Amérique. Les poules et les poulets modernes ont fait l'objet d'une sélection génétique intense. Alors qu'une poule sauvage pond au maximum 60 œufs par an, les poules des élevages modernes en pondent plus de 300. Quant aux poulets, ils ont tellement été « optimisés » pour leur croissance musculaire que ni leur squelette ni leur système cardiovasculaire n'est adapté à leur masse adulte. Leurs os se déforment sous leur propre poids, et si on les laisse vivre au-delà de l'âge auquel ils sont abattus, leur espérance de vie est très réduite.

Morphologie et physiologie

Les poules adultes pèsent entre trois et quatre kilogrammes, soit un poids comparable à celui des chats. Elles n'ont pas d'oreilles comme les mammifères mais plutôt des oreillons, dont le pavillon est beaucoup plus réduit. Leurs yeux sont fixes mais leur tête est très mobile en compensation, ce qui explique pourquoi les poules bougent si souvent la tête. Le gésier (un estomac musclé) a, chez les oiseaux, une fonction comparable à la mâchoire chez les mammifères. À la place des dents, les poules avalent des cailloux : les muscles de leur gésier malaxent les aliments solides avec des cailloux pour les « mâcher ».

pixabay.png En milieu naturel, les poules mangent ce qu'elles trouvent sur le sol : des graines, des brins herbe, des feuilles, des cailloux et quelques vers de terre ou insectes. Elles dorment le plus souvent debout, paupières fermées, la tête dans le plumage pour éviter la lumière. Comme les autres oiseaux, les poules ont des phases de sommeil paradoxal et font des rêves [1]. Leur espérance de vie est de dix ans ou plus.

Univers sensoriel

Les poules ont une vue et une ouïe très développées (bien qu'elles n'entendent pas les sons les plus aigus, au-delà de 12 000 Hz). Alors que les humains ont dans leur rétine trois sortes de cônes (des neurones sensibles au rouge, vert, bleu), les poules ont cinq sortes de cônes (sensibles au rouge, vert, bleu, ultraviolet, mouvements), c'est pourquoi elles perçoivent très bien les couleurs et les mouvements. Du fait de la position latérale de leurs yeux, elles ont un champ visuel plus large que les humains. Leur odorat n'est pas particulièrement développé. La communication se fait principalement par des signes visuels et auditifs, tels que les postures et les vocalisations [2].

Vie sociale et émotionnelle

Les poules sauvages vivent typiquement en petits groupes (de 20-25 individus maximum), comprenant plusieurs femelles et un mâle, ou alors des mâles uniquement. Les poules domestiques, même lorsqu'elles ont à leur disposition de vastes étendues et ne sont menacées par aucun prédateur, préfèrent rester en groupe, en compagnie de leurs congénères.

mamanpoule.png Une série d'études sur l'empathie des poules envers leurs poussins en situation de détresse a montré que leur réaction était déterminée bien sûr par les signes de détresse qu'ils manifestent [3], mais aussi par la connaissance qu'elles ont du danger qu'ils encourent, que les poussins en aient conscience (et poussent de ce fait des cris de détresse) ou non [4].

Apprentissage

Peu de temps après la naissance, les poussins savent compter jusqu'à cinq [5]. Lorsqu'on cache, sous leurs yeux, des objets avec lesquels ils aiment jouer (en l'occurrence des capsules plastique de « Kinder Surprise ») derrière des panneaux opaques, les poussins se dirigent derrière le panneau contenant le plus d'objets. L'expérience a été reproduite avec des objets de tailles différentes (pour vérifier qu'ils dénombraient bien chaque élément). Dans une troisième expérience, on a déplacé plusieurs fois les capsules d'un écran à l'autre pour simuler des additions et des soustractions. Trois quarts des poussins ont réussi cet exercice de calcul mental et se sont dirigés vers le panneau derrière lequel se trouvait le plus de capsules Kinder.

poussins_lexpress.png Ces expériences montrent également que les poussins ont conscience qu'un objet continue d'exister lorsqu'il n'est plus dans leur champ visuel, compétence que les éthologues appellent « la permanence des objets ». Les poussins perfectionnent cette compétence en explorant leur environnement, et, une fois qu'ils ont pris de l'assurance, en quittant le champ visuel de leur mère pendant des périodes de plus en plus longues. Le perfectionnement de la permanence des objets se fait plus vite s'ils grandissent dans un environnement riche en panneaux opaques [6].

Les poussins apprennent beaucoup de leur mère par observation. Ils apprennent auprès d'elle ce qui est comestible, par exemple. De manière générale, les poules et poulets apprennent par observation et imitation. Il suffit que quelques poules acquièrent un comportement pour que celui-ci se répande dans tout le groupe ou tout l'élevage. Dans des conditions expérimentales, il a été constaté que les poules peuvent aussi apprendre en observant le comportement de congénères sur un écran de télévision [7].

Dernier exemple, un apprentissage par expérimentation personnelle. Quand on met à leur disposition des granulés ordinaires et des granulés (d'une autre couleur) contenant un anti-inflammatoire, les poulets se rendent compte des effets antalgiques du médicament et, lorsqu'ils sont blessés à la patte, consomment sélectivement les croquettes contenant l'anti-inflammatoire [8].

Sauriez-vous le faire ?

Les poules sont capables de reconnaître leurs congénères à des âges différents. Lorsqu'on apprend à des poules à sélectionner, entre deux photos, celle d'un congénère familier, elles sont capables de le faire [9]. Elles sont en outre capables de reconnaître un congénère en voyant seulement la photographie d'une partie de son corps [10].

Les poules libérées

libres.png L'île hawaïenne de Kaua'i est habitée par des dizaines de milliers de poules domestiques retournées à la vie sauvage. Selon les habitant-e-s de l'île, elles ont proliféré lorsque, le 11 septembre 1992, l'ouragan Iniki a détruit plusieurs hangars d'élevage, laissant s'échapper des milliers de poules, poulets et coqs de combat. Elles se plaisent dans cette île tropicale pauvre en prédateurs ; on les croise aussi souvent que les pigeons dans les villes européennes [11].

Vie en élevage

Dans les élevages commerciaux, les poules et les poulets sont regroupés par milliers ou dizaines de milliers dans un espace réduit. Dans cet état de promiscuité, les animaux éprouvent ennui et stress, et ne peuvent réaliser les comportements qui leur plaisent, comme se percher, picorer ou prendre des bains de poussière. Ce stress, cet ennui et cette frustration les poussent à agresser leurs congénères [12]. Le plus souvent, ils picorent le plumage des autres, faute de pouvoir picorer l'herbe. Les cas de cannibalisme ne sont pas rares.

Dans les élevages en cage de poules pondeuses, qui abritent un peu plus des 2/3 des poules pondeuses françaises, chaque animal dispose d'une surface correspondant à une feuille de papier A4 et est abattue au bout d'un an, lorsque sa productivité commence à décliner. Pour diminuer les blessures, le bec des poules, qui est pourtant un organe très sensible, est épointé, généralement au laser. Et pour chaque poule de race « pondeuse » il y a un poussin mâle qui est éliminé à la naissance, dans des conditions souvent sordides, comme en témoigne la récente enquête de L214 dans un couvoir. Tous les types d'élevage de poules pondeuses sont concernés par l'élimination des poussins mâles, y compris « bio » et « en plein air », c'est pourquoi le mieux est de se passer d'œufs.

Pierre Sigler


La poule et son poussin

 

 

Bibliographie

[1] Lesku, J.A., et N.C. Rattenborg. 2013. « Sleep in Birds ». In Encyclopedia of Sleep, 51 56. Elsevier. http://linkinghub.elsevier.com/retrieve/pii/B9780123786104000127.
[2] J.A. Mench, « Behaviour of fowl and other domesticated animals », in Jensen, Per, éd. 2009. The ethology of domestic animals : an introductory text. 2nd ed. Cambridge, MA : CABI.
[3] Edgar, J. L., J. C. Lowe, E. S. Paul, et C. J. Nicol. 2011. « Avian Maternal Response to Chick Distress ». Proceedings of the Royal Society B : Biological Sciences 278 (1721) : 3129 34. doi :10.1098/rspb.2010.2701.
[4] Edgar, J.L., E.S. Paul, et C.J. Nicol. 2013. « Protective Mother Hens : Cognitive Influences on the Avian Maternal Response ». Animal Behaviour 86 (2) : 223 29. doi :10.1016/j.anbehav.2013.05.004.
[5] Rugani, R., L. Fontanari, E. Simoni, L. Regolin, et G. Vallortigara. 2009. « Arithmetic in Newborn Chicks ». Proceedings of the Royal Society B : Biological Sciences 276 (1666) : 2451 60. doi:10.1098/rspb.2009.0044.
[6] Freire, Rafael, Heng-Wei Cheng, et Christine J Nicol. 2004. « Development of Spatial Memory in Occlusion-Experienced Domestic Chicks ». Animal Behaviour 67 (1) : 141 50. doi:10.1016/j.anbehav.2003.03.015.
[7] Protection Mondiale des Animaux de Ferme (PMAF), Les poules pondeuses, http://www.animaux-de-ferme.com. Consulté le 2/12/2014.
[8] Danbury, T. C., C. A. Weeks, J. P. Chambers, A. E. Waterman-Pearson, et S. C. Kestin. 2000. « Self-Selection of the Analgesic Drug Carprofen by Lame Broiler Chickens ». The Veterinary Record 146 (11) : 307 11.
[9] Zayan, René. 1992. « La représentation du congénère individuel chez les gallinacés ». Psychologie française : revue trimestrielle de la Société française de psychologie.
[10] Domken Dominique, Zayan René, « Étude de la reconnaissance individuelle par l'usage de photographies chez les primates et les oiseaux », Primatologie, 1, 1998, p. 225-248.
[11] Kauaiblog, « Kauai's Wild Chickens : The good, the bad, and the ugly ! », mars 2013.
[12] Appleby, Michael C. 2004. Poultry behaviour and welfare. Wallingford, Oxfordshire, UK ; Cambridge, MA, USA : CABI Pub.

Images:
1- L214
2- Pixabay
3- L214
4- L'Express
5- Les poules libres de Kaua'i (crédit photo inconnu)